Escapade à Montauk

Voilà donc dans quoi il avait investi ! Ou devait-il dire dans quoi sa chère petite sœur l’a si consciemment intimé à investir. Avec un petit rire, Daniel Weatherly observait, derrière ses lunettes sombres, la façade du bar de son oncle − qui était également le sien, à moitié − puis descendit de la voiture, un SUV noir, qu’il avait louée dès son arrivée à l’aéroport à New York et garée à quelques mètres du Hill. D’après les photos que lui avait envoyées sa jeune sœur Lilah, il s’attendait à quelque chose d’un peu plus grand mais, il est vrai qu’il n’avait pas encore vu l’intérieur. Tout ce qu’il pouvait dire c’est que l’extérieur n’était pas mal et attirait bien les regards. Avec un soupir, se passant une main lasse dans les cheveux, Danny observa les alentours et laissa son regard se porter sur le port de pêche un peu plus loin. Ça aussi, elle lui en avait parlé. C’était pas mal comme vu. Heureusement pour lui qu’il était habitué à l’odeur saline de la mer. Il eut un rictus. C’est donc ici que sa jeune sœur ado venait passer ses vacances, loin des querelles entre leurs parents et les déboires de leurs familles, ne put-il s’empêcher de pensée alors que les vieux souvenirs revenaient. Il n’avait que quinze ans lorsque son père a eu à tout perdre. Il avait perdu sa fortune, leur maison et leur statut de privilégié. Tout. Ils durent quitter leur vie de favorisé pour s’adapter à une nouvelle vie dans une maison plus petite et modeste, dans un quartier modeste où tout lui paraissait alors petit. Dans les premiers temps, cela a été difficile et il devait l’avouer, il a filé du mauvais coton à ses parents qui ont fini d’ailleurs par la suite par l’exiler chez ses grands-parents maternels à Los Angeles. Ce qui ne l’avait pas vraiment calmé ni arrêté, même s’il se rappelait combien son grand-père pouvait se montrer effrayant. Il détourna le regard des bateaux lointains. Il détestait se rappeler des évènements de cette période de sa vie, mais il ne savait pourquoi, il avait du mal à retenir ses souvenirs en ce moment. Les disputes entre ses parents, il s’en souvenait que trop bien. Ceux-ci s’étaient intensifiés à un tel point après leur déménagement que cela en était devenu difficile pour lui comme son frère et sa jeune sœur de rester à la maison. Sa mère ne pardonnait pas à son mari d’avoir dilapidé leur argent et de les avoir propulsés dans une certaine misère. Lui aussi s’en était énormément voulu d’avoir échoué à prendre soin de sa famille. Son père avait agi stupidement à l’époque, fait de mauvais investissements, fait confiance à de mauvaises personnes. Et bon sang, qu’est-ce que le jeune Daniel lui en a également voulu ? Il avait été retiré de sa vie, éloigné de ses amis et des endroits qu’il avait l’habitude de fréquenter. La colère qui l’avait entrain alors l’a poussé à commettre bien des délits et à fréquenter de mauvaises personnes. Et, le divorce de ses parents n’avait pas arrangé les choses. D’où son incompréhension totale pour leur réconciliation récente. Il en restait encore interdit. Une chose encore qu’il refusait de penser. Autant qu’à son passé bien loin maintenant de lui. Secouant la tête pour se débarrasser de ses pensées et souvenirs, il se dirigea d’un pas décidé droit vers l’entrée du bar. On était en début de l’après-midi donc le bar devait être normalement fermé à cette heure-ci. En fait, il le pensait. Il ne connaissait pas encore les horaires de son bar. Quel piètre proprio ! Pensa-t-il en riant. Devant la porte-vitrée où était inscrit le nom du bar, il se rendit compte qu’elle était légèrement entrouverte. Il secoua la tête en poussant la porte. Lorsqu’il entra, Daniel fut tout de suite impressionné par l’intérieur du bar. Les photos prises par Lilah ne mentaient pas et ce décorateur de renom avait fait un excellent travail, il devait le reconnaître. Il y régnait une ambiance douce et un peu retro. Il observa les tables vides, le large comptoir avec ses tabourets hauts, la petite scène et le vieux juke-box installé dans un coin, les murs brun sombre. Il y avait même un aquarium où s’égaillaient des poissons de couleurs vifs qui lui fit penser à ses plongées sous-marines. Il en avait fait des paquets et vue toutes sortes de poissons au cours des années et même nager avec des requins. Il sourit à ce souvenir puis scruta le comptoir étincelant. Ouais. L’endroit était parfait. Alors qu’il avançait dans la pièce, des voix lui parvinrent de derrière une porte fermée qui s’ouvrit pour laisser paraître un jeune brun vêtu d’un jean et d’un t-shirt noir. Celui-ci portait dans ses bras une sorte de caisse et s’arrêta un moment en l’apercevant. − Bonsoir ! Lui lança Danny en ôtant ses lunettes de soleil qu’il rangea dans la poche intérieure de la petite veste qu’il portait sur son t-shirt blanc. − Bonsoir, monsieur. Désolé, mais pour l’heure, on n’est pas encore ouvert. On ouvre à 18h00 aujourd’hui. − Oui, je sais. Je ne suis pas un client, je suis là pour voir Patrick Flynn. Est-il là ? − M. Flynn ? Oui. Il est en cuisine. Je vais le chercher, dit-il en mimant le geste de se retourner. − Non, ce n’est pas la peine. Vous n’avez qu’à m’indiquer où me rendre. Celui-ci lui jeta à nouveau un coup d’œil puis haussant les épaules lui montra la porte derrière lui avant de s’avancer avec son fardeau dans la grande pièce. Danny lui jeta un regard puis avec un sourire suivit la direction indiquée et s’approchant entendit des voix d’hommes. Il poussa la porte pour se retrouver dans une petite cuisine plutôt bien équipé. Au milieu de la pièce deux hommes discutaient. Un grand noir et son oncle. Patrick Flynn. Il ne l’avait plus revu face à face depuis la fête de Thanksgiving de ses quatorze ans, mais il n’eut aucun mal à reconnaître l’homme qui ressemblait à sa mère et par ricochet, à qui il ressemblait un peu vu qu’il avait hérité des traits de sa mère. Il avait même hérité de leur couleur brune de cheveux, même si les siens avaient beaucoup éclairci ses dernières années, mais ses yeux gris, il les avait hérités de son père. À son entrée, les deux hommes ne lui jetèrent pas tout de suite un regard, occupés à discuter puis sans doute intrigué par la présence silencieuse, ils se tournèrent vers lui. Il vit les yeux de son oncle s’écarquillés, l’air des plus surpris puis un grand sourire s’afficha sur ses lèvres. − Dites-moi, je ne rêve pas, dit-il d’une voix tonitruante et joyeuse, presque criant. C’est toi, Danny ! Il acquiesça de la tête, se retenant de rire. − C’est bien moi. L’enthousiasme de son oncle le surprenait tout en lui réchauffant le cœur. Il avança vers celui-ci qui avait déjà fait quelques pas dans sa direction. L’homme s’arrêta à quelques pas de lui, l’observant de pied en cap un long moment. Il faisait maintenant une bonne tête que le vieil alors qu’à l’époque, il lui arrivait à peine à l’épaule. Et soudain, Patrick le prit dans les bras, dans une grande étreinte bruyante, lui tapotant le dos rigoureusement en riant. Un rire qu’il partagea très vite. − Bonsoir, oncle Patrick ! Moi aussi, je suis content de te revoir, dit-il juste entre deux rires.